vendredi 21 novembre 2008

lundi 27 octobre 2008

Indigènes et "maroquinages" : le grand mensonge ?


"Il fallait faire ce film, c'est un témoignage bouleversant sur une période méconnue de l'histoire commune entre l'Algérie et la France qu'il fallait montrer", a affirmé le comédien Mohamed Benaïssa. Tellement bouleversant que Jacques Chirac lui-même en a été ému.
Faux et bouleversant ! Tellement faux qu’on y croirait… Emouvant, peut-être. Mais il s’agit là d’un film qui falsifie l’histoire ! Facile à falsifier, car, comme le reconnaît si bien Mohamed Benaïssa, il s’agit d’une période fort peu et fort mal connue !
L’histoire vraie de la libération de l’Italie est effectivement (aussi) liée au corps expéditionnaire français composé d’Algériens, de Marocains, de Tunisiens et de Sénégalais.
Cette vraie histoire débute en Sicile. C’est Mariangela Profeta Fiore, réfugiée à Montegrande (au sud de la route nationale Licata-Gela) qui rapporte des premiers kidnappings de jeunes femmes italiennes par des Marocains qui « les considéraient leur butin de guerre et les emmenaient en ricanant et en les traitant de tous les noms, comme des prostituées. » Le deuxième (lourd) épisode on le retrouve à Capizza, entre Nicosia et Troina: ici les Nord-africains se donnèrent à plusieurs viols collectifs.

Suite

vendredi 3 octobre 2008

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
Ceux dont un dessein ferme emplit l'âme et le front.
Ceux qui d'un haut destin gravissent l'âpre cime.
Ceux qui marchent pensifs, épris d'un but sublime.
Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
C'est le prophète saint prosterné devant l'arche,
C'est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre.
Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
Le sombre accablement d'être en ne pensant pas.
Ils s'appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
N'a jamais de figure et n'a jamais de nom ;
Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ;
Le bas du genre humain qui s'écroule en nuage ;
Ceux qu'on ne connaît pas, ceux qu'on ne compte pas,
Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
L'ombre obscure autour d'eux se prolonge et recule ;
Ils n'ont du plein midi qu'un lointain crépuscule,
Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l'on va,
Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
Regarder sans respect l'astre, la fleur, la femme,
Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l'âme,
Pour de vains résultats faire de vains efforts,
N'attendre rien d'en haut ! ciel ! oublier les morts !
Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
Fiers, puissants, ou cachés dans d'immondes repaires,
Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
Et j'aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
Tourbe, foule, hommes faux, coeurs morts, races déchues,
Un arbre dans les bois qu'une âme en vos cohues !

Victor Hugo

samedi 20 septembre 2008


Voici un petit texte extrait de Critique de la société de l'indistinction.


Si pour les Juifs et les Musulmans, Dieu est le Tout-Puissant législateur des accomplissements irrévocables, il est évident que la relation entre l'humain et le divin ne peut se concevoir qu'en termes d'obéissance du premier envers le second, dans le ritualisme et le juridisme des prescriptions contractuelles de la "communauté de loi" dont le territoire mental est l'intouchable enfermement de l'homme dans la clôture anti-critique du cercle définitivement fixé par les pré-définitions de l'accompli et de l'in-accompli.(...)

L'islam dérive du judaïsme par le biais de cénacles judéo-nazaréens qui refusèrent tout à la fois de demeurer dans la mouvance judaïque classique et d'adopter les positions les plus radicales du christianisme en voulant simplement réduire Jésus à un Messie juif de domination terrestre qui annonçait la reconstruction du Temple et la puissance à venir d'une nouvelle souveraineté de La Loi.

Héritiers de la théologie judéo-nazaréenne qui ne put que décliner à mesure que la fracture juifs/chrétiens déployait son inconciliabilité absolue, les textes proto-musulmans qui après de multiples sélections compilatives mais décousues ont en dernier ressort abouti au Coran n'ont fait qu'arabiser en le simplifiant et l'abrégeant le corpus des prescriptions traditionelles du messianisme juif en transformant les vieux commandements de la Torah en nouvelles injonctions prophétiques.

Le djihâd en tant que sainte guerre ordonnée contre les impies et les mécréants n'est là pas autre chose que l'adaptation coranique du concept juif de mil'hémet mitswa et si la femme pieuse musulmane doit cacher sa chevelure sous un voile c'est bien parce que la femme juive pieuse doit cacher, elle, la sienne sous une perruque.

La pensée juive n'a jamais pardonné à la contestation christique d'avoir mis en pièces la mythologie tribaliste du "peuple élu" et d'avoir annoncé la révolution de l'universelle élection de chaque être humain à la totalité humaine de l'être. (...)

Dans la littérature rabbinique, et notamment suivant ce qui est habituellement dénommé Toledoth Yeshuh, il est enseigné que Jésus n'est qu'"un impie, un bâtard, un sorcier, un fils de prostituée, qui bout heureusement en enfer". La langage qui y est employé marque bien la rage de la lutte de classe existante alors entre le pouvoir du Temple et ce que ses représentants désignaient eux-mêmes comme des "vauriens et des rebelles à la Thora".

Pour bien marquer l'opposition sociale radicale entre la pensée révolutionnaire christique et les prêtres du Temple de Jérusalem, il convient de signaler la manipulation linguistique par laquelle le discours rabbanite ne parle de Jésus que sous le sobriquet de Yeshu qui signifie métaphoriquement "que son nom et sa mémoire disparaissent" alors que le nom exact de ce dernier est Yeshua, ce qui veut dire tout au contraire "c'est par ce nom que le Divin sauve".

Les Arabes chrétiens, nombreux avant la conquête musulmane, appelaient d'ailleurs Jésus Yasû, correspondant fidèle de Yeshua. Le Coran, lui, le reconnaît uniquement sous le nom indistinct et banalisant de Îsâ qui ne veut rien dire en arabe, ceci afin de le ramener à un simple prophète parmi les autres, censé seulement préparer la venue décisive de Mahomet recueillant l'Ecriture de la soumission nécessaire à la vraie Loi.

La revendication musulmane à remplacer Israël en tant que "Peuple Elu" va ainsi de pair avec la prétention à lui reprendre l'Alliance du contrat abrahamique qu'il a dénaturé selon le Coran.

samedi 7 juin 2008

Code des Lansquenets

1. Tout déserteur face à l'ennemi sera abattu par ses camarades ; la désertion en campagne est punie par l'exécution capitale.
2. Aucun incendie ou pillage ne peut avoir lieu sans ordre.
3. Les femmes, les enfants, tes personnes âgées, les prêtres et les églises sont placés hors de la guerre.
4. Nul ne peut opérer de réquisition en pays allié, sauf contre rétribution.
5. Les attroupements sont interdits, sauf sur ordre.
6. Les mutineries doivent être dénoncées.
7. Le contrat reste valide même en cas de retard de solde, pourvu qu'il soit raisonnable et n'excède pas deux semaines.
8. La camaraderie est de rigueur.
9. Le jeu et la boisson ne doivent pas empiéter sur le service.
10. Tout témoin passif d'une rixe est considéré comme complice.
11. Tout témoin qui a prononcé des semonces et a abattu un coupable ne sera pas poursuivi.
12. Le nom de Dieu ne doit pas être blasphémé.
13. Le soldat doit fréquenter l'office religieux.
14. Une désobéissance aux ordres constitue un crime.

L'impérialisme yankee par Carl Schmitt

Ci-dessous deux textes de Carl Schmitt, très éclairants sur l'aspect juridique de la politique américaine, et d'autant plus époustouflants (je ne mâche pas mes mots) qu'ils datent respectivement de 1925 et de 1943!

De l'annexion au contrôle: nouvelle stratégie de domination

La vieille méthode européenne continentale de l’annexion politique, telle qu’elle s’est présentée par exemple avec le combat pour l’Alsace-Lorraine, est du point de vue de la politique mondiale moderne devenue une chose passablement démodée. A l’époque de l’impérialisme, d’autres formes de domination sont apparues qui évitent une soumission politique ouverte, laissent se perpétuer l’existence étatique du pays qu’il s’agit de dominer, et créent même, quand c’est nécessaire, un nouvel État indépendant dont on proclame expressément la liberté et la souveraineté, de sorte que se produit en apparence le contraire de ce que l’on pourrait qualifier d’abaissement d’un peuple au rang d’objet de la politique étrangère. […]

Mais ce qui est caractéristique, c’est le développement d’une forme juridique de domination qui consiste dans la combinaison d’un droit d’occupation et d’un droit d’intervention. Le droit d’intervention signifie que l’État intervenant décide de certaines notions indéterminées, mais fondamentales pour l’existence politique d’un autre État, comme la protection des intérêts étrangers, la protection de l’indépendance, l’ordre public et la sécurité, l’observance des conventions internationales, etc. Quant aux droits d’intervention, il faut toujours prendre en considération que, du fait même de l’indétermination de toutes ces notions, la puissance dominante décide en fait à son gré et garde ainsi en main l’existence politique de l’État contrôlé. […]

Pour comprendre la signification de ces méthodes nouvelles en évitant l’annexion politique ouverte ou le rattachement, nous devons tout d’abord nous demander quel est l’intérêt qui empêche l’annexion par la puissance régnante. L’intérêt le plus évident est extrêmement clair et simple : il faut empêcher que la population du territoire dominé puisse acquérir la nationalité de l’État dominant. Cet intérêt de maintenir à l’écart de nouveaux citoyens jugés indésirables montre combien la situation a changé au cours du XIXe siècle. Dans l’ancienne politique européenne, on pensait généralement qu’un accroissement de population équivalait à un surcroît de puissance. C’était encore le cas à l’époque de la politique de cabinet et des gouvernements absolutistes. Mais une Constitution démocratique contraint les États à la prudence pour ce qui est d’un accroissement de population, car on ne peut naturellement pas conférer les mêmes droits civiques à n’importe quelle population. Dans les États purement nationaux ou nés du principe de nationalité, des populations de nationalité étrangère ne sont le plus souvent pas du tout souhaitées. C’est à un degré beaucoup plus fort encore que cette tendance à se protéger des étrangers se manifeste dans un État impérialiste. Car un tel État veut dominer économiquement le monde, mais évidemment pas intéresser les autres aux gains de cette domination. D’autres raisons encore viennent s’ajouter pour faire apparaître une annexion politique ouverte comme désavantageuse. Selon la doctrine de droit international dite de la succession des États, qui a trait aux principes à observer pour le changement de domination étatique sur un territoire, il faut en effet, pour l’acquisition d’un territoire, non seulement que la population du territoire acquis obtienne la nationalité de l’État acquéreur, mais également que cet État assume nombre d’engagements de son prédécesseur, prenne en charge tout ou partie de la dette publique, etc. Ici aussi, le fait d’éviter l’annexion politique a l’avantage, juridiquement parlant, que les conséquences en termes de droit de succession des États sont éludées. À la place d’une telle succession, on a donc créé le système des droits d’intervention.

La conséquence de cette méthode est que des mots comme « indépendance », « liberté », « autodétermination », « souveraineté », perdent leur sens traditionnel. Le pouvoir politique de l’État contrôlé est plus ou moins sapé. Il n’a plus la possibilité de décider par lui-même de son destin politique en cas de conflit crucial. Il ne peut plus disposer de ses richesses économiques. Que le droit d’intervention de l’étranger ne soit exercé qu’exceptionnellement, si tout va bien, n’a pas d’importance. Ce qui est décisif, c’est que l’État dominé ou contrôlé ne trouve plus la norme déterminante de son agir politique dans sa propre existence, mais dans les intérêts et dans la décision d’un étranger. L’étranger intervient, quand cela lui apparaît conforme à son propre intérêt politique, pour maintenir ce qu’il considère être l’ordre et la sécurité, la protection des intérêts étrangers et de la propriété privée (c’est-à-dire de son capital financier), le respect des conventions internationales, etc. C’est lui qui décide de ces concepts indéterminés sur lesquels repose son droit d’intervention, et c’est pourquoi il tire de leur indétermination un pouvoir illimité. Le droit d’autodétermination d’un peuple perd de cette façon sa substance. L’étranger dispose de ce qui l’intéresse et détermine ce qu’est l’« ordre » ; ce qui ne l’intéresse pas, le reste, il l’abandonne volontiers au peuple dominé sous des noms comme souveraineté et liberté. […]

Ces méthodes modernes, qui évitent le terme de domination et préfèrent celui de contrôle, se distinguent en un point fondamental de l’annexion politique au sens ancien. L’annexé était naguère incorporé à travers l’annexion politique. Celle-ci n’a certes pas à être défendue comme un idéal, mais cela avait au moins l’avantage de la franchise et de la visibilité. Le vainqueur prenait également en charge, avec le pays et sa population, une responsabilité politique et une représentation. Le territoire annexé avait même la possibilité de devenir partie intégrante du nouvel État, de fusionner avec lui et d’échapper par ce moyen à la situation avilissante de simple objet. Tout cela est absent des méthodes modernes. L’État contrôleur s’assure de tous les avantages militaires et économiques d’une annexion sans avoir à en supporter les charges. Baty, un juriste anglais, exprime de la façon suivante une conséquence particulièrement intéressante de ces méthodes modernes : la population des territoires ainsi contrôlés ne doit disposer ni de véritables droits civiques, ni de la protection dont jouissent les étrangers et les non-nationaux. Ce qui se présente comme autorité étatique à l’intérieur du pays contrôlé est ainsi plus ou moins dépendant de la décision de l’étranger et n’est qu’une façade de sa domination, rendue invisible par un système d’accords.

Carl Schmitt in La Rhénanie, objet de politique internationale (1925)

Isolationisme et pan-interventionnisme

L’essentiel réside dans les conséquences de cette attitude d’isolement par rapport au reste du monde. La prétention américaine de former un monde nouveau et non corrompu était tolérable pour les autres aussi longtemps qu’elle restait associée à un isolement conséquent. Une ligne globale qui divise le monde de manière binaire en termes de bien et de mal est une ligne fondée sur des valeurs morales. Quand elle ne se limite pas strictement à la défense et à l’auto-isolement, elle devient une provocation politique permanente pour l’autre partie de la planète. Ce n’est pas un simple problème de conséquence logique ou de pure logique conceptuelle, pas plus qu’un problème de convenance ou d’opportunité ou un thème de discussion juridique sur la question de savoir si la Doctrine de Monroe est un principe juridique (un legal principle) ou une maxime politique. La question réellement posée est un dilemme politique auquel personne, ni l’auteur de la ligne d’isolement ni le reste du monde, ne peut se soustraire. La ligne d’auto-isolement se transforme très précisément en son contraire dès l’instant où l’on en fait une ligne de discrimination ou de disqualification du reste du monde. La raison en étant que la neutralité juridique internationale qui correspond à cette ligne d’auto-isolement est dans le droit international européen de XVIIIe et XIXe siècles. Quand la neutralité absolue, qui est essentielle à l’auto-isolement, vient à faire défaut, l’isolation se transforme en un principe d’intervention illimitée qui embrasse sans distinction la Terre entière. Le gouvernement des États-Unis s’érige alors en juge de la Terre entière et s’arroge le droit de s’immiscer dans les affaires de tous les peuples et de tous les espaces. L’attitude défensive caractéristique de l’auto-isolement se transforme, d’une manière qui fait apparaître toutes ses contradictions internes, en un pan-interventionnisme étendu à l’infini, sans aucune limitation spatiale.

Carl Schmitt in Changement de structure du droit international (1943)

samedi 31 mai 2008

Les Innommables ont encore frappé

J'ai trouvé un article hallucinant, qui, au mieux, tend à prouver que la Real Politic tourne facilement à la plus immonde salauderie. J'ai dit au mieux. Je vous laisse juges.

mardi 20 mai 2008

Révisionisme arabe

Al-Aqsa TV, la chaîne de télévision du Hamas, a programmé le 18 avril dernier une vidéo où il est dit, entre autres, que ce sont les juifs qui ont planifié et perpétré la Shoah pour débarrasser la nation du “fardeau” des faibles et des handicapés. On y montre, alternativement, des juifs encerclés puis mis dans des trains, des cadavres émaciés et empilés et des images de David Ben Gourion et de Golda Meir.

Le commentaire affirme que, pour se débarrasser du fardeau que les faibles et les handicapés auraient représenté pour Israël, Ben Gourion et “les juifs sataniques ont concocté un plan diabolique utilisant des moyens criminels.”

La vidéo affirme également que les juifs ont inventé la Shoah de toutes pièces et en ont rejeté la responsabilité sur les Nazis pour “bénéficier de la sympathie de la communauté internationale.” Amin Dabur, directeur de l’organisation Palestinian Center for Strategic Research, y dit que la Shoah “a été une plaisanterie, et a fait partie d¹une parfaite mise en scène organisée par Ben Gourion.” Dabur ajoute que le “plan juif” consistait à développer une “jeunesse forte et énergique [pour Israël]”.

Source : Ha’aretz, 1er mai 2008 via no-media.info

mardi 6 mai 2008

L'immigration vu par Debord

Un texte de Guy Debord sur les immigrés assez intéressant à télécharger ici.

samedi 3 mai 2008

Bouddhisme

Petite citation piquée au Café du commerce:

Le diable a déjà séduit une moitié du monde, l'Orient, par la pitié bouddhique. Il veut maintenant en séduire l'autre, l'Occident. Il veut tuer Dieu, qui est amour, par la pitié.

D. Mérejkovsky in Atlantide-Europe, L'Âge d'Homme, 1995 [1930], p. 73

Perle



Il est des personnes qui se tourmentent pour des fautes même légères qu'elles ont commis dans un passé même lointain, alors que dans le présent elles font ce qui plaît à Dieu. Or c'est une faute que de se reprocher ce que Dieu ne nous reproche pas.
Dieu ne nous reproche pas un péché dont nous avons pleinement conscience et que nous avons l'intention sincère de ne plus commettre, si en même temps nous pratiquons ce qu'Il exige et ce qui nous rapproche de lui.
Au demeurant, Dieu ne nous demande pas abstraitement d'être parfaits, mais Il nous demande concrètement de ne pas avoir tel défaut et de ne pas commettre tel péché ou telle sotise.
D'un autre côté, il ne faut pas se demander si Dieu exige de nous ceci ou cela; si nous accomplissons ce que Dieu nous demande certainement - à savoir la prière, les vertus élémentaires et les attitudes raisonnables -, nous apprendrons ipso facto ce qu'Il nous demande éventuellement et par surcroît.
Dieu ne nous demande pas ce que nous ignorons, pas plus qu'Il ne nous reproche ce qui n'existe plus.

Frithjof Schuon in Les Perles du pèlerin

mercredi 30 avril 2008

Pour le droit au blasphème

Monsieur Le Pen a tort, la chambre à Gaz n'est pas un détail.

Monsieur Le Pen a profondément tort, la chambre à gaz est tout sauf un point de détail, c'est même aujourd'hui, plus qu'hier encore, la religion, le dogme autour duquel tourne toute l'époque contemporaine. Dans l'ordre du sacrifice fondateur, la chambre à gaz a remplacé la croix du christ.

Pourtant, ou justement pour ça, au nom du droit à la libre pensée face à ceux qui croient et veulent nous obliger à croire, je réclame le droit, pour Jean-Marie Le Pen, de considérer la chambre à gaz comme « un point de détail de la seconde guerre mondiale », comme tant d'autres se donnent le droit de chier sur la croix.

Que ce soit celle d'hier ou d'aujourd'hui, le citoyen libre se doit de lutter contre toutes les inquisitions et leurs cortèges sanglants de bûchers et d'abjurations. Nous, européens, n'avons pas mis trois siècles à nous émanciper du pouvoir temporel du Pape pour en arriver là !

Aujourd'hui, dans ce climat de judéomanie délirante - une judéomanie délirante et suspecte qui tient plus de l'esprit de la Collaboration que du combat pour le bien et l'amour des hommes - plus les souffrances de la guerre s'éloignent, plus c'est la seconde guerre mondiale toute entière qui devient un détail de la chambre à gaz !

50 millions de morts, russes, communistes, polonais, anglais, américains, civils, résistants, japonais et mêmes allemands et, parmi eux, 500 mille morts Français, ce n'est presque plus rien face à la chambre à gaz, ou aux 28 mille enfants juifs que certains voudraient faire assumer pour l'éternité aux écoliers de France innocents.

Dans ma famille de Résistants savoyards où la guerre nous a coûté six morts et la ruine - comme elle coûta son père au petit Jean-Marie -, nous avons nous aussi sauvé des vies ; seulement c'était des Espagnols. Il faut dire qu'en ce temps là si on sauvait des juifs, on ne le faisait pas pour sauver le peuple élu mais pour sauver des êtres humains tout court, menacés par la méchanceté et la violence des hommes. À l'époque, on ignorait que 60 ans plus tard ne seraient plus comptabilisés que les sauvés marqués d'une étoile, et que sur le marché des Justes, ça ne vaudrait plus rien les Espagnols !

De vous à moi, combien cette relecture de la seconde guerre mondiale, cette réécriture théo-différentialiste, à la limite de l'inégalité raciale, va-t-elle encore durer ? Combien de temps encore la Mémoire va-t-elle empêcher l'Histoire ? Au moment du Darfour, de la Palestine, de l'Irak, du Tibet... n'y a-t-il pas d'autres combats à mener pour le salut des hommes ? De massacres, de génocides, d'ethnocides à condamner, à empêcher ? Au moment où la montée en puissance de l'Inde et de la Chine est sur le point de remettre en cause le leadership de notre confortable et dominateur monde post-méditerranéen, les querelles intra-monothéistes sont-elle vraiment notre priorité ?

Qui aura le courage de dire, dans cet inquiétant climat de lynchage pour une petite phrase réitérée dans un obscur follicule breton, que le problème ce n'est pas le détail de Jean-Marie Le Pen. Une petite phrase plus taquine que méchante qui lui a déjà coûté 120 briques (et à ce prix là, on peut comprendre que le peu dispendieux Le Pen ait envie de l'utiliser deux fois). Une petite phrase inattaquable - dois-je le rappeler ? - aux Etats unis d'Amérique, qui ne sont pourtant pas le pays de l'antisémitisme, parce que là-bas le 1er amendement garantit à tous, et pas seulement à Finkielkraut et ses sorties sur les « antillais qui filent un mauvais coton » ou « l'équipe de France black-black-black qui serait la risée de l'Europe », la liberté de pensée et d'opinion.

Qui aura le courage, à l'heure où même ses supposés proches : identitaires jaloux et autres apparatchiks en embuscade se désolidarisent du vieux chef comme on se détourne d'un pestiféré, de dire que le problème ce n'est pas le « détail » mais la loi Gayssot ?

Cette loi d'exception contraire à tous les principes démocratiques et républicains, de l'aveu même de tous les politiques et historiens qui comptent, de Simone veil à feu Vidal-Naquet. Une loi d'exception qui, en instituant par le délit l'Histoire officielle, interdit toute recherche historique et l'Histoire. Dubito ergo sum res cogitans. Nous savons pourtant bien, dans ce pays qui vit naître Descartes, qu'en interdisant le doute, c'est la pensée qu'on interdit. Loi inique, de surcroît fratricide, puisqu'en inaugurant la concurrence des mémoires - et par la jurisprudence dont se réclament déjà les arméniens, les africains, les maghrébins, en attendant les vendéens et les gays, elle incite au communautarisme victimaire généralisé, tuant la fraternité française et son universalisme républicain.

Trois siècles de haute philosophie, deux siècles de sécularisation du religieux et un siècle de séparation des Eglises et de l'Etat pour en arriver là ? À ce retour en douce d'une Inquisition qui ne dit pas son nom ? Qui criminalise la dissidence, l'insoumission, le relativisme, le décalage, l'ironie obligeant le rebelle à l'abjuration sous peine de ruine et de prison ?

Devant l'ignoble lynchage des bien pensants et les discrets lâchages, moi le libre penseur, pour rester du côté des opprimés et des faibles dont le sort change avec l'Histoire, j'affirme mon soutien à Le Pen le relaps ; relaps comme Jeanne d'Arc et Giordano Bruno. Par principe, au nom du droit à la liberté jusqu'à la mal-pensance, au nom du petit doigt d'honneur levé devant les puissants botteurs de dèrches et ses cohortes de lèches culs, de faux culs, j'affirme mon soutien à l'insoumis.

Car ma peur, ma vraie peur, ce ne sont pas les provocations ou les lubies d'un vieil homme, mais la peur bien plus grande de voir ce pays sombrer chaque jour plus bas dans l'obscurantisme totalitaire.

Un pays de soi-disant culture et de liberté où la horde des veules, faux courageux, vrais tartuffes et autres pétaino-gaullistes éternellement dans le sens du vent se réjouissent déjà, à l'unisson, au nom bien sur de la démocratie du bon et du bien, que le pays de Voltaire se promette de jeter demain en prison un vieux monsieur de 80 ans parce qu'il refuse de se dédire, parce que têtu jusqu'à la déraison, il refuse de baisser la tête et de faire comme un chien, à coups de pieds au cul comme eux tous, là où on lui dit de faire.

En tant qu'intellectuel français dissident, moi, Alain Soral, qui ne bénéficie même pas des soutiens d'un Soljenitsyne du temps de sa splendeur dans le Vermont (va savoir pourquoi ça s'est gâté depuis), par ce simple texte, je réclame haut et fort, face aux désapprobations tonitruantes et aux silences gênés, le droit au blasphème pour tous, pas seulement pour Houellebecq ou Philippe Val de Charlie Hebdo.

Et, au nom de ce droit sacré en terre laïque, malgré tout ce qui nous sépare : âge, parcours, origine politique, je veux rendre hommage à un grand résistant. Pas un rentier de la Résistance à francisque. Un résistant à cette démocratie totalitaire qui tue la liberté, l'esprit d'indépendance, le sens de l'honneur et de la fidélité. Un résistant à cette République qui, à coup de devoir de mémoire forcé, de repentance obligatoire et autres criminalisations des automobilistes et des fumeurs, transforme peu à peu l'esprit français en catéchisme et le peuple français en bétail.

C'est, en somme, parce que je sais que l'affaire du détail est tout sauf un détail, que je réclame, pour Jean-Marie Le Pen, le droit de se tromper et le droit au détail !

Vive la France libre !

Alain SORAL sur Égalité & Réconciliation le 29/04/2008

dimanche 20 avril 2008

Muslims

Je me suis amusée a faire ça:

In Europe and America, theres a growing feeling of hysteria
Conditioned to respond to all the threats
In the rhetorical speeches of the neo-cons
Ben Laden said we will bury you
I dont subscribe to this point of view
It would be such an ignorant thing to do
If the muslims love their children too

How can I save my little boy from Israelian deadly toy
There is no monopoly in common sense
On either side of the religious fence
We share the same biology
Regardless of ideology
Believe me when I say to you
I hope the muslims love their children too

There is no historical precedent
To put the words in the mouth of the president
Theres no such thing as a winnable war
Its a lie that we dont believe anymore
Bush Junior says we will protect you
I dont subscribe to this point of view
Believe me when I say to you
I hope the muslims love their children too

We share the same biology
Regardless of ideology
What might save us, me, and you
Is that the muslims love their children too

lundi 7 avril 2008

Fides quaerens intellectum

De ce qu'on ne peut concevoir que Dieu n'existe pas.
Il existe si véritablement qu'on ne peut même pas penser qu'il n'existe pas.

On peut en effet concevoir qu'il existe quelque chose dont on ne puisse pas penser qu'elle n'existe pas. Elle est supérieure à celle dont on peut concevoir la non-existence. C'est pourquoi, si un être tel qu'on ne puisse en concevoir de supérieur, peut être conçu comme non-existant, cet être-là, tel qu'on ne pouvait en concevoir de supérieur, n'est plus tel qu'on ne puisse en concevoir un supérieur. On ne peut donc l'admettre. Ainsi il existe véritablement quelque chose tel qu'on ne peut en concevoir de supérieur et on ne peut pas penser qu'elle n'existe pas. Cet être, c'est toi Seigneur notre Dieu. Ainsi donc, tu existes véritablement, Seigneur mon Dieu, au point qu'on ne peut penser que tu ne sois pas, et à juste titre. Si quelque esprit pouvait concevoir quelque chose de meilleur que toi, la créature s'élèverai au-dessus du Créateur et jugerait son Créateur. Ce qui est tout à fait absurde. Bien plus, tout ce qui est autre que toi peut être conçu comme non-existant. Seul, plus véritablement que tous, tu possèdes l'existence dans sa plénitude. Tout le reste n'existe pas aussi véritablement et possède moins d'existence. Pourquoi donc l'insensé a-t-il dit en son cœur: il n'y a pas de Dieu? Alors qu'il est si clair pour un esprit raisonnant que tu existes toi le meilleur des êtres? Pourquoi, si ce n'est qu'il est sot et insensé?

Saint Anselme in Fides quaerens intellectum id est Prosologio

vendredi 4 avril 2008

Ode au dalaï-lama


- Parce qu'un mec qui a du temps à perdre à discuter des heures avec Richard Gere, Isabelle Adjani ou Séverine Ferrer est forcement un con;
- parce qu'on nous a déjà fait le coup des "combattants de la liberté" avec l'Afghanistan;
- parce que pour les 1 300 000 Tibétains qui vivent au Tibet, la modernisation imposée par les Chinois contre l'obscurantisme théocratique lamaïque n'est pas forcément un mal;
- parce qu'un rationaliste laïc a le droit de ne pas voir dans le dalaï-lama la quatorzième réincarnation du "Boddhisattva de la Compassion" mais un ramolli en pataugas au bla-bla lénifiant, à côté duquel l'abbé Pierre fait figure d'intellectuel;
- parce que l'association France-Tibet et la Communauté tibétaine en France et ses amis ont un comportement de sectes;
- parce que le dalaï-lama n'est le pape que d'1% des bouddhistes du monde, et parce que le bouddhisme tibétain (véhicule de diamant) est à la fois le plus tardif et le moins spirituel (le plus empreint de magie) des trois bouddhismes historiques;
- parce que le bouddhisme est, de toute façon, une sagesse individualiste égoïste (pas d'équivalent bouddhiste de la Croix rouge ou du Croissant rouge) qui ne débouche sur aucune vision du monde, et ne permet de trouver aucune solution aux problèmes concrets actuels (les inégalités dues à l'exploitation économique);
- parce que la plus grande communauté des bouddhistes vit en Chine, nullement persécutée et que les Tibétains doivent le meilleur de leur bouddhisme lamaïque au Chinois Tsong-Kha-pa;
- parce qu'avant d'être convoité par la Chine, le Tibet était sous domination anglaise, et qu'un impérialisme n'a fait qu'en chasser un autre (le dalaï-lama ayant toujours été pro anglo-saxon tandis que son alter ego le panchen-lama était prochinois);
- parce que, compte tenu de la géographie et de l'histoire, la mainmise de la Chine sur le Tibet n'est pas plus scandaleuse que la mainmise des USA sur l'Amérique latine (dont on voit à nouveau le résultat dévastateur en Argentine);
- parce que si l'obscurantisme religieux du lamaïsme tibétain fait rêver les cons avides d'exotisme ici, ces mêmes cons ne verraient pas du tout du même œil une France soudain replongée dans le Moyen-Âge et le pouvoir des moines;
- parce que les Tibétains qu'on entend ici sont toujours les 80 000 nantis de la diaspora sponsorisée par les pires droites occidentales pour leur anticommunisme vicéral, et rarement les Tibétains qui vivent et travaillent au Tibet;
- parce qu'un prix Nobel de la paix ne prouve rien, puisqu'on a pu en décerner un à Henry Kissinger:
- parce que les nazis fantasmaient déjà beaucoup sur le Tibet traditionnel, au point de lui emprunter son symbole, la svastika;
- pour toutes ces raisons, et bien d'autres, que j'invite le lecteur à aller chercher lui-même en lisant simplement les différents articles consacrés au Tibet, au lamaïsme et au bouddhisme dans les diverses encyclopédies où la complexité du problème n'est pas occultée par sa médiatisation grossière:
j'emmerde le dalaï-lama et tous les bouddhistes de pacotille avec lui!

Alain Soral in Jusqu'où va-t-on descendre?

Minor Threat - Guilty of Being White

Considérations sur l'unité "transcendante" des religions

Je voudrais esquisser maintenant une analyse du concept d'unité transcendante des religions. Cette analyse ne peut être qu'une esquisse, étant donné l'étendue et la complexité du problème. Il faudrait, pour le traiter véritablement, savoir ce que c'est qu’une religion, ce que peut signifier l'idée d'une unité des religions, et ce en quoi cette unité doit être transcendante. Un livre serait nécessaire ; le seul concept de religion exigerait de longues discussions où, d'ailleurs, les guénoniens s'affronteraient aux schuoniens, et tous les deux aux historiens : peut-on appliquer le même concept de religion à toutes les manifestations du sacré ? Et ce concept lui-même n'est-il pas tardif dans l'histoire de l'humanité ?

De fait, le mot de religio, chez les Latins, désigne la piété, la fidélité, ou “un ensemble d'observances, de règles, d'interdictions, sans se référer ni à l'adoration de la divinité, ni aux traditions mythiques, ni aux célébrations des fêtes” (Brelich). Il en va de même pour toutes les langues humaines avant l'apparition du christianisme : aucune ne possède un terme spécifique pour désigner ce que nous appelons la religion. Telle est la situation des cultures humaines sur laquelle il serait bon de méditer avant de parler d'unité des religions.
Il résulte de cette brève remarque que le concept de religion n’apparaît qu’avec le christianisme. A priori, on aurait pu penser que l'apparition de ce concept devait nécessairement se produire partout où il serait possible de comparer une pluralité de religions, puisque l'esprit humain n'accède au concept générique qu’à travers l'expérience d'une pluralité d'éléments singuliers du même genre. Or l'antiquité païenne a fait l'expérience d'une pluralité de formes religieuses sans en dégager le concept, même lorsque, à l'époque d'Alexandre, elle a pris contact avec l'hindouisme et le bouddhisme. Dans ces conditions, comment rendre compte de l'apparition du concept de religion, à l'époque chrétienne, sans admettre qu'avec le christianisme surgit une “forme religieuse” en laquelle se révèle l'essence supra-formelle de toute religion ? L'expérience que les chrétiens font de leur propre religion, en tant que religion, les met à même de comprendre la vérité des autres formes religieuses et révèle d'abord qu’il s'agit bien de formes plus ou moins parfaites de l'unique religion qui, comme le dit saint Augustin, existe depuis le commencement du monde et qui est enfin révélée en Jésus-christ. De ce point de vue, la doctrine de l'unité des religions est proprement chrétienne, et n'a été formulée expressément que par le christianisme. Sans doute estimera-t-on qu'on la trouve aussi en Orient. Je crois pourtant que ce qu'on qualifie ainsi relève, à bien des égards (pas à tous), d'une interprétation “chrétienne” de phénomènes ou d'attitudes assez différentes.

Ainsi la lumière du soleil chrétien révèle la nature religieuse des autres formes du sacré. Par là même, les constituant en religions, il était inévitable qu'elle en vînt à les considérer comme de possibles rivales. La lumière que le christianisme projette sur toutes les formes révélatrices du divin est en effet renvoyée sur lui et le constitue à son tour en “religion parmi les autres” . D'où la nécessité, pour la religion chrétienne, de se situer par rapport aux religions non chrétiennes et de les situer par rapport à elle.
Il me semble qu'on peut distinguer trois façons de caractériser cette situation, lesquelles d'ailleurs peuvent se combiner. Ou bien on considère que les religions existantes sont des restes de la révélation primitive diversifiée sous l'effet des réinterprétations humaines que lui ont imposées les diverses cultures ou le génie de quelques individualités puissantes. Ou bien on estime que les religions sont des œuvres purement humaines, produit de la religiosité naturelle ou résultant d'autres facteurs. Ou bien on y voit l'œuvre du diable.
Ces trois hypothèses me paraissent vraies à quelques égards. Toutes les religions sont porteuses d'éléments primordiaux, comme le prouve l'universalité de certaines vérités et de certains symboles. Toutes les religions sont riches de créations humaines et sont affectés par les conditions culturelles, sociales, économiques et autres, de leur développement. Enfin, aucune religion n'échappe aux atteintes du démon, et même pas la chrétienne, comme l'enseigne la parabole du bon grain et de l'ivraie.

Cependant chacune de ces thèses se heurtent à une difficulté. La troisième suppose que Dieu peut se laisser adorer et prier à l'aide de formes enseignées par le diable, trompeur si puissant qu'il peut satisfaire, par une illusion invincible et indécelable, le besoin religieux le plus profond de toute l'humanité depuis les origines (à l'exception du peuple hébreu et des chrétiens). La deuxième hypothèse confère à la nature humaine une capacité créatrice hors de proportion avec l'ampleur des phénomènes religieux et l'originalité spécifique de chaque religion. La première solution est évidemment la plus cohérente avec l'ensemble des données du problème ; toutefois, elle ne rend pas compte du fait que certaines grandes religions, outre les éléments primordiaux qu’elles comportent, apparaissent aussi comme fondées par un révélateur, dont l'existence et le rôle historiques sont hors de contestation, je pense au Bouddha et au prophète Muhammad.

On peut ignorer ce que signifie la mise en branle, par la prédication du Bouddha, de la roue du Dhama (la loi religieuse) ; quand on a compris ce qu'elle veut dire pour des centaines de millions d'êtres humains qui ont pris refuge près du Compatissant, il devient extrêmement difficile de n'y voir que l'effet d'une imposture. J'en dirai autant de la prédication du Prophète Muhammad, et bien que je n’ignore pas les travaux du Père “Hanna Zacharias” (en réalité : G. Théry).
Il faut donc, me semble-t-il, compléter cette thèse de la révélation primitive par celle d'une intervention divine, directe ou indirecte (c'est-à-dire angélique), à l'origine et au cœur de chaque religion, œuvre de la miséricorde infinie de Dieu, même si cette miséricorde peut revêtir des formes pour nous bien déroutantes. L'acceptation, ou la reconnaissance de l'origine divine des religions (authentiques) n'entraîne de soi aucun relativisme ni aucun syncrétisme ; car ici vaut le principe : chaque religion est unique et, d'une certaine manière, incomparable. Mieux est, mille fois, de considérer les religions non chrétiennes comme l'œuvre du diable, que de tomber dans un indifférentisme du genre : toutes les religions se valent.

On m'objectera, sans doute, qu'il est des cas où les religions, loin d'être incomparables, se comparent elles-mêmes les unes aux autres, et généralement pour se contredire. Ainsi le Bouddha enseigne l'impermanence de l'atman (terme qui désigne en sanscrit la personne immortelle et que l'on peut rendre par “le soi”), s'opposant ainsi à l'hindouisme qui affirme la permanence et la réalité transcendante de l'atman. De même le Coran rejette la Trinité chrétienne au nom de l'Unité divine (IV, 171 ; V, 73), ainsi que la divinité du Christ (IV, 172 ; V, 17, 72-78 ; IX, 31-32) qui en est inséparable. Puisque Dieu ne saurait se contredire, il faut donc récuser la nature révélée de l'une ou de l'autre doctrine. A moins de supposer, ou que le Coran ne rejette pas vraiment ces vérités chrétiennes, ou que la révélation chrétienne ne les enseigne pas réellement. Or, s'il est possible d'admettre que la Trinité chrétienne n'est pas expressément et adéquatement visée par l'interdiction coranique (“ne dites point : “ Trois ! Cessez !”), on ne saurait supposer, ni que l'islam ne nie la divinité de Jésus-Christ (Dieu n'a pas de fils), ni que l'Evangile ne l'enseigne expressément (le Verbe fait chair est Dieu).
La contradiction, sur ce point et telle qu’elle est posée, me paraît insoluble. Reste à en chercher la signification.
Il me semble que celle-ci n'a de chance d'apparaître que si l'on accepte l'idée d'une hiérarchie des révélations, et donc que si l'on cesse de les juxtaposer sur un même plan. De même qu'il peut y avoir différents degrés d'intensité dans la lumière, de même la Parole révélatrice peut exprimer plus ou moins explicitement le Mystère divin en fonction des différents besoins humains. A prendre les choses le plus objectivement possible, force est de constater que ce n'est pas le christianisme qui rejette le dogme fondamental de l'islam (pas de Dieu hormis Dieu) ; au contraire, il l'affirme clairement (credo in unum Deum). C'est donc l'islam qui ne “comprend” pas la révélation du Christ, ou qui n'en comprend que ce qui s'accorde avec sa propre perspective : Jésus, fils de la Vierge Marie, messager de Dieu. De ce point de vue, on pourrait dire que l'islam représente ce que l'abrahamisme pur peut accepter du mystère christique, et que le judaïsme avait rejeté ; comme si Dieu ne pouvait pas permettre que le monothéisme abrahamique demeurât entièrement aveugle au Soleil christique. A sa manière incomplète, il lui rend hommage, et donc indirectement, le confirme puisqu'il en parle expressément.

Un chrétien peut ainsi comprendre la semi-négation – qui est aussi une semi-affirmation – du Christ par l'islam. Cette épreuve terrible qu'est pour lui l'apparition d'une religion explicitement post-christique revêt alors une double signification : elle lui rappelle d'abord la force irrécusable de l'exigence monothéiste dont l'islam est le témoin et que rien ne saurait atténuer ; mais lui enseigne aussi l'insondable profondeur du mystère christique, insondable puisque tout se passe comme si Dieu avait dû tolérer son voilement miséricordieux – et momentané – aux yeux d'une partie des “croyants”. C'est qu'aussi ce mystère est “parousiaque”, puisqu'en lui se réalise la parfaite immanence du divin à l'humain, réalisation anticipée et salvatrice du moment final où “Dieu sera tout en tous”. En vérité les chrétiens, du moins ceux qui ont revêtu le Christ, n'appartiennent pas au “siècle présent” ; ils appartiennent déjà à l'éon futur, au “huitième jour” du monde. Mais, trop souvent, pour nous aussi, chrétiens, cette vérité est voilée, en sorte que l'islam réalise une certaine “vérité de fait” de l'attitude de certains chrétiens à l'égard du Christ, celle-là même que l'hérésie arienne a failli imposer à toute la chrétienté.

Si j’osais pénétrer le mystère des voies seigneuriales, je dirais qu'il était en quelque sorte impossible que le christianisme fût l'ultime religion, celle de la fin des temps, parce qu'une telle révélation signifie nécessairement la restauration intégrale de la création dans la gloire : ce que saint Paul appelle la parousie, la par-ousia, la “présence totale”. C'est le sens le plus profond de la manifestation christique, et c'est ainsi que le comprenaient les premiers chrétiens pour qui la fin du monde était imminente. Or, cette restauration ne s'est pas encore produite, au moins selon le temps : nous attendons la seconde venue du Messie. Et cependant elle est aussi accomplie dans la personne du Christ : “Avant qu'advienne Abraham, Je suis.” L'avènement du christ est donc la révélation suprême et définitive du mystère de Dieu : tout ce qui, de Dieu, est révélable, est accompli dans le Christ, c'est-à-dire récapitulé (non pas aboli) et porté à sa plus haute perfection. Ainsi, les autres révélations ne sont pas niées, mais elles sont assumées et définitivement transcendées dans la Personne du Verbe fait chair. Toutefois, ce qui est vrai du Christ ne saurait l'être, au même titre, de la religion chrétienne. La religion chrétienne est “en voie de réalisation”, sa tâche est de christifier le monde ; si cette tâche était accomplie, la religion chrétienne aurait cessé d'exister.

Ainsi, la religion chrétienne est à la fois plus et moins qu'une religion. Plus qu'une religion parce que centrée sur le mystère du Christ, unité transcendante de toutes les révélations, et donc parce que, en ce sens, la “forme” chrétienne dépasse toutes les formes et, par là même, est révélatrice de la “forme religieuse” en tant que telle. Mais aussi moins qu'une religion, parce que ce dépassement entraîne une sorte d'incapacité relative à se constituer véritablement en forme historiquement existante : le christianisme est toujours plus ou moins “mal à l'aise” ici-bas ; fût-ce dans ses réussites les plus triomphantes. La nature prophétique du christianisme, qui résulte de la nature parousiaque de la manifestation du Christ, et qu'on retrouve dans tous les éléments de cette religion, même les plus centraux (ainsi de l'eucharistie qui “annonce la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’Il revienne”, A Co., XI, 26), cette nature prophétique “autorise” l'existence terminale d'une autre forme religieuse qui, en tant même que forme, réalise une sorte de synthèse minimale et stable de la forme religieuse comme telle : la religion réduit à l'essentiel. Le christianisme est terminal et indépassable parce qu'il représente la réverbération, dans l'âge présent, de la lumière parousiaque, quand surgira dans sa gloire la nouvelle Jérusalem ; il en est ainsi, de l'éternité, au rebours de ce qu'il en est de l’espace-temps : alors que nous parvient, encore aujourd'hui, la lumière naturelle d'étoiles disparues, nous recevons, dès à présent, la lumière surnaturelle de la future Apocalypse. Et l'islam est terminal parce qu'il représente la forme la plus simple du théisme sacré originel. Et sans doute à sa manière prépare-t-il l'humanité pour la seconde venue du Messie, puisque l'islam aussi annonce cet événement, la “descente de Jésus” à la fin des temps (Nuzûl’Isâ).

J'ai dit : “si j'osais”. Je n'ignore pas en effet le caractère conjectural, et donc éminemment fragile, de ces sortes de considérations. Scruter les intentions divines à l'aide d'une logique humaine, n'est-ce pas vouloir se mettre à la place de Dieu, et plus précisément encore de la Sagesse divine ? J'en suis conscient et je demeure convaincu qu'il y a, dans la pluralité des religions un mystère impénétrable, le secret de Dieu, ce que l'Ecriture appelle “le secret du Roi”. Mais je vais dire une chose qui paraîtra surprenante : nous ne pouvons pas faire autrement. Penser, c'est toujours se mettre à la place de Dieu, c'est toujours essayer de voir les choses comme Dieu les verrait, au moins sous le rapport de leur nécessité intelligible. C'est donc aussi courir le risque de se tromper, et ce risque est inéliminable. Dans la mesure où la pensée pense vraiment, c'est-à-dire où elle est autre chose qu'un fonctionnement (éventuellement mécanique) selon des catégories préétablies, dans cette mesure, elle “travaille sans filet”, “à ses risques et périls”, puisqu’elle n'est garantie que par sa propre loi.

Ainsi, penser la pluralité des religions, c'est toujours spéculer sur les intentions divines, qu'on nie ou qu'on affirme leur origine révélée. Toutefois, si la pensée est seule et originelle dans son acte (nul ne peut penser à ma place), elle est aussi toujours seconde dans son actuation : penser, c'est réagir spéculativement à un donné, et nous pensons toujours à partir de quelque chose. Autrement dit, notre pensée n'est pas créatrice de son objet. Cette situation de la pensée nous ne devons pas l'oublier, sinon nous tombons dans la démesure. Ainsi dois-je me souvenir que lorsque je pense la pluralité des religions, c'est à partir de l'expérience des religions existantes, et en particulier, de la religion qui est la mienne et à partir de laquelle s'est formée en moi l'idée de ce qu'est la religion. C'est pourquoi je dois, sous peine d'hybris, m'efforcer de penser l'origine divine des révélations à partir de l'indépassable condition que constitue pour moi la révélation du Christ. Et j'ai tenté de montrer que ce n’était pas impossible.

Sinon, et nécessairement, je me mets au-dessus de la religion existante, la seule que je connaisse et qui me soit donnée et, je m'arroge ainsi la place de Dieu : non pas peut-être la place de Dieu créateur, mais assurément la place de Dieu salvateur : au dessus des religions, il n’y a que Dieu, ou les Anges, ses serviteurs, obéissants ou rebelles.

C'est pourquoi je suis très réservé quant à l’expression “unité transcendante des religions”. Car, ou bien cette unité n'est qu'une autre manière de désigner Dieu comme auteur des grandes religions, ou bien cette unité, transcendante aux religions mais distincte de Dieu, est posée en elle-même, comme une super-religion dans laquelle toutes les religions historiques trouvent leur unité. Dans le premier cas, que j'appellerai “unité apophatique des révélations” (apophatique signifiant ici : ineffable et surintelligible), on énonce simplement le fait que l'on croit à une source divine des manifestations du sacré, sans qu'il soit humainement possible d'en réduire la multiplicité à l'unité d'une même doctrine. Dans le second cas, qu'on pourrait appeler “unité cataphatique” (cataphatique signifiant ici : qui possède la nature d'une affirmation, c'est-à-dire d'un énoncé positivement formulable), on s'engage à définir le contenu intelligible de cette religion transcendante. Et de cela découlent quelques conséquences qu'il importe de souligner.

Tout d'abord, puisque par définition, une vraie religion est une révélation divine, en formulant la religio universalis, on s'arroge la fonction de Dieu révélateur, qu'on en ait conscience ou non. A moins, bien sûr, que cette religio universalis ait été elle-même révélée par Dieu et que nous ayons seulement à prendre connaissance. Mais, s'il en est ainsi, nous n'en savons rien (cette hypothèse correspond au fond à la “mythologie” guénonienne d'un dépôt de la Tradition primordiale dans l'Agartha). Nous sommes donc condamnés à élaborer nous-mêmes le contenu doctrinal de cette religio. Cette élaboration ne peut être l'œuvre que de l'intelligence humaine. On peut assurément qualifier l'intellection de “révélation subjective”, il y a là cependant un glissement de sens, sinon un abus de terme : l'intuition intellectuelle n'est une révélation que selon une certaine analogie et ne possède pas l'efficacité salvatrice d'une religion révélée. Quoi qu'il en soit, quand on prend connaissance des formulations de cette doctrine religieuse universelle, on constate qu'elle ne dépasse pas les capacités de la simple raison s'efforçant de dégager le concept général de religion, comme le font d'ailleurs des sociologues ou des philosophes. Hegel, à cet égard, offre bien des ressemblances. C'est la deuxième conséquence : l'intelligence humaine substituée à la Sagesse divine et constituant une sophia perennis.
Une troisième conséquence est que, l'unité une fois posée et doctrinalement formulée, on est contraint de montrer, par une étude comparative, comment les diverses doctrines religieuses peuvent effectivement se réduire à cette unité, c'est-à-dire comment peuvent être surmontées les contradictions et les discordances inhérentes à leur diversité.
C'est ici qu'apparaissent, concernant le christianisme, des difficultés que, pour ma part, je crois insurmontables. Je voudrais en dire un mot pour terminer.
Dans la comparaison des religions entre elles, et le dégagement de leur fonds commun et transcendant, il est requis de faire abstraction de la contingence particularisante de chacune d'entre elles, par quoi elles sont proprement irréductibles les unes aux autres, ainsi que de leurs “âmes”, ou ambiances animiques respectives, par quoi elles se distinguent phénoménologiquement les unes des autres, pour ne considérer que ce que chacune d'elles dit d'essentiel. Si, en effet, on devait aussi faire abstraction de ce qu'une religion dit d'essentiel, de son message le plus fondamental, alors cette unité des religions équivaudrait à leur destruction. Ainsi, par exemple, on fera abstraction de la contingence particularisante que constitue pour le bouddhisme le fait historique de la personne de Shâkyamuni ou, pour l'islam, de Muhammad, ainsi que de leurs “climats spirituels” respectifs. Restera leur contenu profond, en lequel, en effet, on peut admettre qu'ils se rejoignent, le nirvâna n'étant au fond rien d'autre que l'extinction de tout ce qui s'affirme illusoirement comme réel en dehors du seul Réel : il n'y a de Dieu que Dieu.

Or, le christianisme ne me paraît pas pouvoir être soumis au même traitement sans être instantanément détruit comme tel dans ce qu'il a de plus essentiel. Le Buddha, Lao-Tseu, Muhammad peuvent être distingués, et sont distingués, du message dont ils sont porteurs sans que le message soit altéré : autre le message, autre le messager ; bien qu'il y ait évidemment un rapport étroit entre l'un et l'autre : à certains égards l'islam s'identifie au Prophète. Mais, dans le cas du Christ, le message, c'est le messager lui-même. Ici la contingence historique particularisante en tant que telle est donnée comme l'absolu de la révélation. Tout le christianisme consiste à croire que Jésus-Christ est l'incarnation unique du Fils unique de Dieu. Sans doute, la plupart des religions s'affirment-elles comme la révélation unique (ou définitive) de la vérité. Mais, une fois cette affirmation mise de côté, reste tout l'essentiel. Une fois ôtée l'affirmation de Jésus-Christ Fils unique, il ne reste du christianisme qu'une morale spiritualiste, un “évangélisme”. Toutes les religions ont dit, sous une forme ou une autre, que Dieu était Père ; toutes ont dit : Dieu est Esprit. Aucune n'a jamais dit : Dieu est Fils. Et cette affirmation est constitutive du message essentiel et central du christianisme, puisque le Fils est, par lui-même, la révélation du Dieu Trinitaire : si Dieu est Fils, alors Dieu est aussi Père, non seulement au sens analogique des autres religions, en tant que “Père” des hommes et de toute créature, mais aussi en un sens propre et tout à fait précis, en tant que Dieu engendre éternellement Dieu.

Je ne dis pas cela, du moins il me semble, par “nationalisme religieux”, et par refus sentimental de “relativiser” l'incarnation du Verbe en Jésus-Christ. Je le dis parce que je crois qu'il y a là, objectivement, une difficulté. Relativiser les fondateurs de religion, les avatâra de l'Inde, les prophètes abrahamiques, ce n'est pas les nier. Eux-mêmes autorisent ou impliquent une pluralité d'envoyés. Chacun d'eux est un porte-parole d'un unique message. Mais, dans le Christ, la Parole elle-même se fait homme et s'identifie à celui qui le porte. Jésus se donne lui-même pour la manifestation comme telle de Dieu-Fils comme tel. Sans doute est-il porteur d'un message qu'à cet égard on peut distinguer du messager et garde son sens et sa valeur intrinsèques. Mais ce message est second relativement à la personne du Christ. C'est par son incarnation même, non par ses discours, que le Christ est l'exégèse du Père (Joa., I, 18).
Il en résulte une sorte de “christianisation” de l'absolu sous la forme du mystère trinitaire. A ma connaissance, les autres religions ne “déterminent” pas l'Essence divine dans son aséité. Elles déterminent la forme de notre relation à Dieu, au Principe suprême – ce qui implique une certaine “présentation” de Dieu et détermine un “Visage” divin – mais, du Principe en soi, elles ne disent rien, ou presque rien : Il est l'Un, ou l'Un, l'etre, la Réalité pure, le Créateur et le Rémunérateur, en sorte que ce Dieu-Principe est aussi peu hindouisé ou islamisé que possible.

Aussi arrive-t-il que l'âme, dans son ascension spirituelle, soit amenée à dépasser la forme religieuse, comme telle, pour entrer nue dans la connaissance informelle de l'Un. Au contraire la détermination trinitaire de l'Essence divine prolonge la “forme” chrétienne au-delà du domaine de la relation homme-Dieu : “dogmatise” chrétiennement au niveau de l'Absolu lui-même. Et cela n'est pas intégrable dans le concept positif de l'unité des religions. On peut évidemment estimer, du point de vue de cette unité positive, que le “trinitarisme” chrétien est une “erreur” métaphysique, la traduction exotérique d'une vérité transcendante mal comprise, ou comprise en fonction des limitations d'une certaine mentalité et, qu'en réalité, la révélation scripturaire (le Nouveau Testament) n'imposerait nullement ce dogme. C'est en effet la seule solution possible pour intégrer le christianisme dans l'unité transcendante des religions. Mais il est clair, que ce n'est pas le christianisme qui est intégré, c'est l'arianisme. J'observe que le christianisme est effectivement la seule religion qui, pour être intégrée, ait été l'objet d'un rejet de ses deux dogmes fondamentaux (le dogme de l'union de la nature divine et de la nature humaine dans l'unique hypostase ou personne du Fils d'une part, et le dogme du Dieu unique en trois Personnes distinctes, d'autre part), et de leur réinterprétation radicale.

Estimant cette réinterprétation incomptatible avec les données de la Tradition et de l'Ecriture, je ne peux que rejeter la conception positive et cataphatique de l'unité des religions, pour m'en tenir à une conception apophatique. La qualification de “transcendantale” lui conviendrait sans doute mieux, d'ailleurs que celle de “transcendante”, dans la mesure où le terme de transcendantal désigne, en philosophie, ce qui dépasse toutes les catégories sans constituer soi-même un genre. Sans doute les considérations ici exposées entraînent-elles certaines conséquences concernant le christianisme lui-même (et pas seulement l'unité transcendantale et que, par exemple, il n’est pas essentiellement une “forme” religieuse au sens propre du terme : d'où l'importance de l'Eglise – phénomène unique en histoire des religions – comme substitut de cette forme qui, à certains égards, lui fait défaut ; d'où aussi un certain manque du sens des formes sacrées, qui semble congénital au christianisme.

La suite (et oui!) et d'autres textes de Jean Borella ici.

lundi 31 mars 2008


Le besoin de vérité est plus sacré qu'aucun autre. Il n'en est pourtant jamais fait mention. On a peur de lire quand on s'est une fois rendu compte de la quantité et de l'énormité des faussetés matérielles étalées sans honte, même dans les livres des auteurs les plus réputés. On lit alors comme on boirait l'eau d'un puits douteux.

Il y a des hommes qui travaillent huit heures par jour et font le grand effort de lire le soir pour s'instruire. Ils ne peuvent pas se livrer à des vérifications dans les grandes bibliothèques. Ils croient le livre sur parole. On n'a pas le droit de leur donner à manger du faux. Quel sens cela a-t-il d'alléguer que les auteurs sont de bonne foi ? Eux ne travaillent pas physiquement huit heures par jour. La société les nourrit pour qu'ils aient le loisir et se donnent la peine d'éviter l'erreur. Un aiguilleur cause d'un déraillement serait mal accueilli en alléguant qu'il est de bonne foi.

À plus forte raison est-il honteux de tolérer l'existence de journaux dont tout le monde sait qu'aucun collaborateur ne pourrait y demeurer s'il ne consentait parfois à altérer sciemment la vérité.

Le public se défie des journaux, mais sa défiance ne le protège pas. Sachant en gros qu'un journal contient des vérités et des mensonges, il répartit les nouvelles annoncées entre ces deux rubriques, mais au hasard, au grè de ses préférences. Il est ainsi livré à l'erreur.

Tout le monde sait que, lorsque le journalisme se confond avec l'organisation du mensonge, il constitue un crime. Mais on croit que c'est un crime impunissable. Qu'est-ce qui peut bien empêcher de punir une activité une fois qu'elle a été reconnue comme criminelle ? D'où peut bien venir cette étrange conception de crimes non punissables ? C'est une des plus monstrueuses déformations de l'esprit juridique.

Simone Weil in L'enracinement

De nos jours, les conditions sociales se rapprochent de la vision de la société républicaine élaborée par le marquis de Sade au tout début de la Ière République. De bien des façons, celui-ci s’est montré le plus clairvoyant, et certainement le plus troublant, des prophètes de l’individualisme révolutionnaire, en proclamant que la satisfaction illimitée de tous les appétits était l’aboutissement logique de la révolution dans les rapports de propriété, la seule manière d’atteindre la fraternité révolutionnaire dans sa forme la plus pure. En régressant, dans ses écrits, jusqu’au niveau le plus primitif du fantasme, Sade est parvenu, d’une manière étrange, à entrevoir l’ensemble du développement ultérieur de la vie personnelle en régime capitaliste, qui s’achève, non sur la fraternité révolutionnaire, mais sur une société confraternelle qui a survécu à ses origines révolutionnaires et les a répudiées.
Sade imaginait une utopie sexuelle où chacun avait le droit de posséder n’importe qui ; des êtres humains, réduits à leurs organes sexuels, deviennent alors rigoureusement anonymes et interchangeables. Sa société idéale réaffirmait ainsi le principe capitaliste selon lequel hommes et femmes ne sont, en dernière analyse, que des objets d’échange. Elle incorporait également et poussait jusqu’à une surprenante et nouvelle conclusion la découverte de Hobbes, qui affirmait que la destruction du paternalisme et la subordination de toutes les relations sociales aux lois du marché avaient balayés les dernières restrictions à la guerre de tous contre tous, ainsi que les illusions apaisantes qui masquaient celle-ci. Dans l’état d’anarchie qui en résultait, le plaisir devenait la seule activité vitale, comme Sade fut le premier à le comprendre – un plaisir qui se confond avec le viol, le meurtre et l’agression sans freins. Dans une société qui réduirait la raison à un simple calcul, celle-ci ne saurait imposer aucune limite à la poursuite du plaisir, ni à la satisfaction immédiate de n’importe quel désir, aussi pervers, fou, criminel ou simplement immoral qu’il fût. En effet, comment condamner le crime ou la cruauté, sinon à partir de normes ou de critères qui trouvent leurs origines dans la religion, la compassion, ou une conception de la raison qui rejette des pratiques purement instrumentales ? Or, aucune de ces formes de pensée ou de sentiment n’a de place logique dans une société fondée sur la production de marchandises. Dans sa misogynie, Sade perçut que l’émancipation bourgeoise, portée à sa conclusion logique, serait amené à détruire le culte sentimental de la femme et de la famille, culte poussé jusqu’à l’extrême par cette même bourgeoisie.
L’auteur de La Philosophie dans le boudoir comprit également que la condamnation de la vénération de la femme devait s’accompagner d’une défense des droits sexuels de celle-ci – le droit de disposer de son propre corps, comme le diraient aujourd’hui les féministes. Si l’exercice de ce droit, dans l’utopie de Sade, se réduit au devoir de devenir l’instrument du plaisir d’autrui, ce n’est pas parce que le Divin Marquis détestait les femmes mais parce qu’il haïssait l’humanité. Il avait perçu, plus clairement que les féministes, qu’en régime capitaliste toute liberté aboutissait finalement au même point : l’obligation universelle de jouir et de se donner en jouissance. Sans violer sa propre logique, Sade pouvait ainsi tout à la fois réclamer le droit, pour les femmes, de satisfaire complètement leurs désirs, et jouir de toutes les parties de leur corps, et de déclarer catégoriquement que « toutes les femmes doivent se soumettre à notre plaisir ». L’individualisme pur débouchait ainsi sur la répudiation la plus radicale de l’individualité. Pour Sade, « tous les hommes et toutes les femmes se ressemblent ». A ceux de ses compatriotes qui voulaient devenir républicains, Sade lançait cet avertissement menaçant : « Ne croyez pas que vous ferez de bons républicains tant que vous garderez isolés dans leurs familles les enfants qui devraient appartenir à la république et à elle seule. » Ce n’est pas seulement dans la pensée de Sade mais dans l’histoire à venir si exactement préfigurée dans l’excès même, la folie et l’infantilisme de ses idées – que la défense de la sphère privée aboutit à sa négation la plus poussée, que la glorification de l’individu conduit à son annihilation.

Christopher Lasch in La Culture du narcissisme

dimanche 30 mars 2008

Tu sera un homme, mon fils

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaitre
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maitre,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,

Si tu peux conserver ton courage et ta
tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un Homme, mon fils.


Rudyard Kipling

mardi 25 mars 2008

Manifestation contre Geert Wilders

Maurice Bardèche

Voici un texte de Bardèche daté de 1948. Un bonhomme en avance sur son temps.

Nous vivions jusqu'ici dans un univers solide dont les générations avaient déposé l'une après l'autre les stratifications. Tout était clair : le père était le père, la loi était la loi, l'étranger était l'étranger. On avait le droit de dire que la loi était dure, mais elle était la loi. Aujourd'hui ces bases certaines de la vie politique sont frappées d'anathème. Car ces vérités constituent le programme d'un parti raciste condamné au tribunal de l'humanité. En échange, l'étranger nous recommande un univers selon ses rêves. Il n'y a plus de frontières, il n'y a plus de cités. D'un bout à l'autre du continent, les lois sont les mêmes, et aussi les passeports, et aussi les juges, et aussi les monnaies. Une seule police et un seul cerveau : le sénateur du Milwaukee inspecte et décide. Moyennant quoi, le commerce est libre, enfin le commerce est libre. Nous plantons des carottes qui par hasard ne se vendent jamais bien et nous achetons des machines à biner qui se trouvent toujours coûter très cher. Et nous sommes libres de protester, libres, infiniment libres, d'écrire, de voter, de parler en public, pourvu que nous ne prenions jamais des mesures qui puissent changer tout cela. Nous sommes libres de nous agiter et de nous battre dans un univers d'ouate. On ne sait pas très bien où finit notre liberté, où finit notre nationalité, on ne sait pas très bien où finit ce qui est permis. C'est un univers élastique. On ne sait plus où l'on pose ses pieds, on ne sait même plus si l'on a des pieds, on se trouve tout léger, comme si l'on avait perdu son corps. Mais pour ceux qui consentent à cette simple ablation que d'infinies récompenses, quelle multitude de pourboires ! Cet univers qu'on fait briller à nos yeux est pareil à quelque palais d'Atlantide. Il y a partout des verroteries, des colonnes de faux marbre, des inscriptions, des fruits magiques. En entrant dans ce palais vous abdiquez votre pouvoir, en échange vous avez le droit de toucher les pommes d'or et de lire les inscriptions. Vous n'êtes plus rien, vous ne sentez plus le poids de votre corps, vous avez cessé d'être un homme : vous êtes un fidèle de la religion de l'Humanité. Au fond du sanctuaire est assis un dieu nègre. Vous avez tous les droits sauf de dire du mal du dieu.

lundi 24 mars 2008

La patrie selon Julien Freund


On a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l'humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d'individus isolés aspirant à une seule liberté personnelle, il n'empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l'homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d'une unité politique dans le temps. Sans elle, il n'y a ni puissance ni grandeur ni gloire, mais non plus de solidarité entre ceux qui vivent sur un même territoire. On ne saurait donc dire avec Voltaire, à l'article Patrie de son Dictionnaire philosophique que "souhaiter la grandeur de son pays, c'est souhaiter du mal à ses voisins". En effet, si le patriotisme est un sentiment normal de l'être humain au même titre que la piété familiale, tout homme raisonnable comprend aisément que l'étranger puisse éprouver le même sentiment. Pas plus que l'on ne saurait conclure de la persistance de crimes passionnels à l'inanité de l'amour, on ne saurait prendre prétexte de certains abus du chauvinisme pour dénigrer le patriotisme. Il est même une forme de la justice morale. C'est avec raison qu'A. Comte a vu dans la patrie la médiation entre la forme la plus immédiate du groupement, la famille et la forme le plus universelle de la collectivité, l'humanité. Elle a pour raison le particularisme qui est inhérent au politique. Dans la mesure où la patrie cesse d'être une réalité vivante, la société se délabre non pas comme le croient les uns au profit de la liberté de l'individu ni non plus comme le croient d'autres à celui de l'humanité; une collectivité politique qui n'est plus une patrie pour ses membres cesse d'être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d'une autre unité politique. Là où il n'y a pas de patrie, les mercenaires ou l'étranger deviennent les maitres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s'agit d'un hasard qui nous délivre d'autres.

Julien Freund in L'essence du Politique