samedi 7 juin 2008

Code des Lansquenets

1. Tout déserteur face à l'ennemi sera abattu par ses camarades ; la désertion en campagne est punie par l'exécution capitale.
2. Aucun incendie ou pillage ne peut avoir lieu sans ordre.
3. Les femmes, les enfants, tes personnes âgées, les prêtres et les églises sont placés hors de la guerre.
4. Nul ne peut opérer de réquisition en pays allié, sauf contre rétribution.
5. Les attroupements sont interdits, sauf sur ordre.
6. Les mutineries doivent être dénoncées.
7. Le contrat reste valide même en cas de retard de solde, pourvu qu'il soit raisonnable et n'excède pas deux semaines.
8. La camaraderie est de rigueur.
9. Le jeu et la boisson ne doivent pas empiéter sur le service.
10. Tout témoin passif d'une rixe est considéré comme complice.
11. Tout témoin qui a prononcé des semonces et a abattu un coupable ne sera pas poursuivi.
12. Le nom de Dieu ne doit pas être blasphémé.
13. Le soldat doit fréquenter l'office religieux.
14. Une désobéissance aux ordres constitue un crime.

L'impérialisme yankee par Carl Schmitt

Ci-dessous deux textes de Carl Schmitt, très éclairants sur l'aspect juridique de la politique américaine, et d'autant plus époustouflants (je ne mâche pas mes mots) qu'ils datent respectivement de 1925 et de 1943!

De l'annexion au contrôle: nouvelle stratégie de domination

La vieille méthode européenne continentale de l’annexion politique, telle qu’elle s’est présentée par exemple avec le combat pour l’Alsace-Lorraine, est du point de vue de la politique mondiale moderne devenue une chose passablement démodée. A l’époque de l’impérialisme, d’autres formes de domination sont apparues qui évitent une soumission politique ouverte, laissent se perpétuer l’existence étatique du pays qu’il s’agit de dominer, et créent même, quand c’est nécessaire, un nouvel État indépendant dont on proclame expressément la liberté et la souveraineté, de sorte que se produit en apparence le contraire de ce que l’on pourrait qualifier d’abaissement d’un peuple au rang d’objet de la politique étrangère. […]

Mais ce qui est caractéristique, c’est le développement d’une forme juridique de domination qui consiste dans la combinaison d’un droit d’occupation et d’un droit d’intervention. Le droit d’intervention signifie que l’État intervenant décide de certaines notions indéterminées, mais fondamentales pour l’existence politique d’un autre État, comme la protection des intérêts étrangers, la protection de l’indépendance, l’ordre public et la sécurité, l’observance des conventions internationales, etc. Quant aux droits d’intervention, il faut toujours prendre en considération que, du fait même de l’indétermination de toutes ces notions, la puissance dominante décide en fait à son gré et garde ainsi en main l’existence politique de l’État contrôlé. […]

Pour comprendre la signification de ces méthodes nouvelles en évitant l’annexion politique ouverte ou le rattachement, nous devons tout d’abord nous demander quel est l’intérêt qui empêche l’annexion par la puissance régnante. L’intérêt le plus évident est extrêmement clair et simple : il faut empêcher que la population du territoire dominé puisse acquérir la nationalité de l’État dominant. Cet intérêt de maintenir à l’écart de nouveaux citoyens jugés indésirables montre combien la situation a changé au cours du XIXe siècle. Dans l’ancienne politique européenne, on pensait généralement qu’un accroissement de population équivalait à un surcroît de puissance. C’était encore le cas à l’époque de la politique de cabinet et des gouvernements absolutistes. Mais une Constitution démocratique contraint les États à la prudence pour ce qui est d’un accroissement de population, car on ne peut naturellement pas conférer les mêmes droits civiques à n’importe quelle population. Dans les États purement nationaux ou nés du principe de nationalité, des populations de nationalité étrangère ne sont le plus souvent pas du tout souhaitées. C’est à un degré beaucoup plus fort encore que cette tendance à se protéger des étrangers se manifeste dans un État impérialiste. Car un tel État veut dominer économiquement le monde, mais évidemment pas intéresser les autres aux gains de cette domination. D’autres raisons encore viennent s’ajouter pour faire apparaître une annexion politique ouverte comme désavantageuse. Selon la doctrine de droit international dite de la succession des États, qui a trait aux principes à observer pour le changement de domination étatique sur un territoire, il faut en effet, pour l’acquisition d’un territoire, non seulement que la population du territoire acquis obtienne la nationalité de l’État acquéreur, mais également que cet État assume nombre d’engagements de son prédécesseur, prenne en charge tout ou partie de la dette publique, etc. Ici aussi, le fait d’éviter l’annexion politique a l’avantage, juridiquement parlant, que les conséquences en termes de droit de succession des États sont éludées. À la place d’une telle succession, on a donc créé le système des droits d’intervention.

La conséquence de cette méthode est que des mots comme « indépendance », « liberté », « autodétermination », « souveraineté », perdent leur sens traditionnel. Le pouvoir politique de l’État contrôlé est plus ou moins sapé. Il n’a plus la possibilité de décider par lui-même de son destin politique en cas de conflit crucial. Il ne peut plus disposer de ses richesses économiques. Que le droit d’intervention de l’étranger ne soit exercé qu’exceptionnellement, si tout va bien, n’a pas d’importance. Ce qui est décisif, c’est que l’État dominé ou contrôlé ne trouve plus la norme déterminante de son agir politique dans sa propre existence, mais dans les intérêts et dans la décision d’un étranger. L’étranger intervient, quand cela lui apparaît conforme à son propre intérêt politique, pour maintenir ce qu’il considère être l’ordre et la sécurité, la protection des intérêts étrangers et de la propriété privée (c’est-à-dire de son capital financier), le respect des conventions internationales, etc. C’est lui qui décide de ces concepts indéterminés sur lesquels repose son droit d’intervention, et c’est pourquoi il tire de leur indétermination un pouvoir illimité. Le droit d’autodétermination d’un peuple perd de cette façon sa substance. L’étranger dispose de ce qui l’intéresse et détermine ce qu’est l’« ordre » ; ce qui ne l’intéresse pas, le reste, il l’abandonne volontiers au peuple dominé sous des noms comme souveraineté et liberté. […]

Ces méthodes modernes, qui évitent le terme de domination et préfèrent celui de contrôle, se distinguent en un point fondamental de l’annexion politique au sens ancien. L’annexé était naguère incorporé à travers l’annexion politique. Celle-ci n’a certes pas à être défendue comme un idéal, mais cela avait au moins l’avantage de la franchise et de la visibilité. Le vainqueur prenait également en charge, avec le pays et sa population, une responsabilité politique et une représentation. Le territoire annexé avait même la possibilité de devenir partie intégrante du nouvel État, de fusionner avec lui et d’échapper par ce moyen à la situation avilissante de simple objet. Tout cela est absent des méthodes modernes. L’État contrôleur s’assure de tous les avantages militaires et économiques d’une annexion sans avoir à en supporter les charges. Baty, un juriste anglais, exprime de la façon suivante une conséquence particulièrement intéressante de ces méthodes modernes : la population des territoires ainsi contrôlés ne doit disposer ni de véritables droits civiques, ni de la protection dont jouissent les étrangers et les non-nationaux. Ce qui se présente comme autorité étatique à l’intérieur du pays contrôlé est ainsi plus ou moins dépendant de la décision de l’étranger et n’est qu’une façade de sa domination, rendue invisible par un système d’accords.

Carl Schmitt in La Rhénanie, objet de politique internationale (1925)

Isolationisme et pan-interventionnisme

L’essentiel réside dans les conséquences de cette attitude d’isolement par rapport au reste du monde. La prétention américaine de former un monde nouveau et non corrompu était tolérable pour les autres aussi longtemps qu’elle restait associée à un isolement conséquent. Une ligne globale qui divise le monde de manière binaire en termes de bien et de mal est une ligne fondée sur des valeurs morales. Quand elle ne se limite pas strictement à la défense et à l’auto-isolement, elle devient une provocation politique permanente pour l’autre partie de la planète. Ce n’est pas un simple problème de conséquence logique ou de pure logique conceptuelle, pas plus qu’un problème de convenance ou d’opportunité ou un thème de discussion juridique sur la question de savoir si la Doctrine de Monroe est un principe juridique (un legal principle) ou une maxime politique. La question réellement posée est un dilemme politique auquel personne, ni l’auteur de la ligne d’isolement ni le reste du monde, ne peut se soustraire. La ligne d’auto-isolement se transforme très précisément en son contraire dès l’instant où l’on en fait une ligne de discrimination ou de disqualification du reste du monde. La raison en étant que la neutralité juridique internationale qui correspond à cette ligne d’auto-isolement est dans le droit international européen de XVIIIe et XIXe siècles. Quand la neutralité absolue, qui est essentielle à l’auto-isolement, vient à faire défaut, l’isolation se transforme en un principe d’intervention illimitée qui embrasse sans distinction la Terre entière. Le gouvernement des États-Unis s’érige alors en juge de la Terre entière et s’arroge le droit de s’immiscer dans les affaires de tous les peuples et de tous les espaces. L’attitude défensive caractéristique de l’auto-isolement se transforme, d’une manière qui fait apparaître toutes ses contradictions internes, en un pan-interventionnisme étendu à l’infini, sans aucune limitation spatiale.

Carl Schmitt in Changement de structure du droit international (1943)